Et si nous nous appuyons sur les textes pour découvrir comment composer avec nos émotions ?
Les Yogas-sutras de Patanjali, texte fondateur de la philosophie du yoga, nous donne un éclairage :
Yoga Sutra IV.3 :
Nimittam-aprayojakam prakrtinam varana-bhedah-tu tatah ksetrikavat
Pour changer les choses il n’y a rien à ajouter : il ne faut pas aller contre nature mais défaire les nœuds, les pierres, tel le paysan qui canalise l’eau plutôt que d’essayer de l’arrêter.
Il en va de même avec nos émotions, apprenons à les comprendre et les accompagner pour qu’elles ne débordent pas.
Mais commençons par le commencement :
Qu'est-ce qu'une émotion ? : C'est un mouvement de notre corps ou de notre esprit en réaction à un changement en nous ou autour de nous.
C'est une caractéristique du vivant : si quelque chose bouge au-dehors cela bouge aussi en dedans.
En psychologie on définit une émotion comme un ensemble automatique de réponses adaptatives.
Un ensemble ça veut dire que les émotions mobilisent toute notre personne, elles apparaissent dans notre corps, modifient nos pensées, provoquent des impulsions et des comportements, des changements biologiques.
Pour comprendre une émotion, il faut apprendre à la décomposer sinon nous n’y verrons qu'un bloc compliqué et illisible. Arrêtons-nous quelques instants pour les observer.
Un ensemble automatique, cela veut dire qu'on ne décide pas d'avoir peur d'être heureux là tout de suite mais que ça se produit automatiquement
On ne cherche jamais à empêcher l'apparition d'une émotion ou à la réprimer une fois qu'elle est apparue. C'est comme vouloir empêcher le vent de se lever ou la pluie de tomber. Apprenons donc à accueillir nos affects même s’ils sont douloureux.
Un ensemble automatique de réponses : cela signifie qu'une émotion est une réponse à des modifications de notre environnement ou à notre façon de voir ces modifications.
L'intelligence émotionnelle nécessite de se pencher sur les causes de nos émotions pour comprendre ce qui nous touche et pourquoi cela nous touche. Examiner avec attention les tenants et les aboutissants de nos réactions, comprendre les besoins qui n’ont pas été satisfaits pour plus de discernement.
Un ensemble automatique de réponses adaptatives : cela veut dire que lorsque tout se passe bien nos émotions sont là pour nous aider même celles que nous appelons émotions négatives comme la peur ou la tristesse. Si nous les écoutons mal, si nous les comprenons mal, si nous les accompagnons mal elles ne seront plus adaptatives mais au contraire pourront nous pousser à des attitudes inadaptées.
Les émotions sont des messagers et des informations. Elles nous proposent des solutions. Prenons le temps de les écouter et de comprendre ce qu’elles nous signalent, sur quelle voie elles nous orientent sans forcément les suivre aveuglément.
Pratique : « Traverser nos émotions douloureuses »
Prenez une assise confortable : cela signifie une assise qui vous laisse en paix. Installez votre bassin, laissez la colonne se dresser sans effort, vertèbre après vertèbre. Les épaules et les bras sont relâchés et le menton légèrement rentré de manière à allonger la nuque.
Prenez quelques instants pour être à l’écoute de votre respiration naturelle.
Laissez venir vos émotions. Cela peut paraître un bloc insurmontable mais ne vous découragez pas.
Explorez le corps ému. A quel endroit se situe cette émotion, à quel endroit ça fait mal. Prenez le temps de ressentir les zones de votre corps affectées par l'émotion, l’endroit où vous ressentez peut-être une compression, un poids, un blocage.
Si ses sensations physiques sont très douloureuses, revenez à votre respiration et dites-vous que vous pouvez ressentir « çà », continuer avec « çà » et petit à petit le traverser.
Une émotion douloureuse tente à focaliser notre attention sur ce qui ne va pas, et seulement sur ce qui ne va pas. Pour apaiser ses sensations, les comprendre, puis agir au mieux gardez votre attention ouverte. Inutile de vouloir supprimer l’émotion, laissez là, présente. Tournez-vous maintenant vers les autres parties de votre corps, vers les sons internes et externes. Vous pouvez ouvrir les yeux et regarder attentivement autour de vous avec lenteur et curiosité, comme si c’était la première fois.
Elargissez l’espace autour de l’émotion douloureuse en respirant encore et encore dans les zones étriquées.
Rappelez-vous le sutra IV.3 : il n’y a rien à ajouter, tout est à défaire. Alors délestez, déposez, défaites tout ce qui est inutile. Libérez-vous de toutes ces sensations qui encombrent, qui compliquent. Laissez-les couler telle la rivière dans son lit, naturellement et sans obstacle. Simplifiez.
Après ce travail d’apaisement, passez au discernement. De votre mieux, prenez le temps de nommer l’émotion, de voir ce qui l’a déclenchée.
Rappelez-vous qu’une émotion douloureuse indique que certains de vos besoins fondamentaux n’ont pas été satisfaits ou ont été entravés.
En procédant ainsi, chaque fois que possible, vous augmentez vos chances de répondre à l'émotion et à la situation, d'y répondre avec toute votre intelligence et au mieux de vos valeurs, au lieu de réagir avec les réflexes, les automatismes et les habitudes.
N’est-ce pas cela que nous propose le Yoga ?
S’arrêter quelques instants, écouter, observer ce qu’il y a en nous. Donner de l’espace (Akasha) à ce qui nous oppresse grâce à la posture (àsana) et au souffle (prànàyàmà). Une fois apaisé, sortir de l’ignorance (Avidya) en regardant avec discernement (Viveka), pour retrouver notre liberté de penser et d’agir (Kaivalya). Aller vers Purushà, notre conscience, à l’état pur, et enfin agir, de la manière la plus juste qu’il soit.
Texte inspiré d'une méditation de Christophe André
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